INTERVIEW: Le Groupe ACP pourrait être un futur intermédiaire influent pour les pays en développement – Prof. Mirjam Van Reisen
Bruxelles, le 15 août 2013/ACP:La politique internationale a considérablement évolué au cours des dernières décennies. Pour sa part, le Groupe ACP a engagé un processus "d'autoréflexion" notamment sur la façon de se repositionner pour améliorer l'efficacité de son action sur la scène mondiale.
Dans la perspective de la première réunion de stratégie du Groupe d'éminentes personnalités prévue le mois prochain, Presse ACP a rencontré le professeur Mirjam van Reisen,titulaire d'une chaire Marga Klompé à l'université de Tilburg,et auteur d'une étude sur les perspectives d'avenir du Groupe ACP dont la contribution aux discussions sur cette problématique a été précieuse.
Presse ACP: Pensez-vous qu'une telle alliance de 79 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique est pertinente ou utile dans le contexte actuel des affaires internationales? Quels sont les secteurs dans lesquels elle pourrait apporter une valeur ajoutée à ses membres et au reste du monde, qui n'entrent pas les domaines d'action des organisations internationales bien établies?
Mirjam van Reisen: [Pour la première question] – Oui, je le pense. Vous savez, les affaires internationales recouvrent des dimensions multiples. Si nous prenons l'exemple de l'UE, nous avons les 28 États membres, nous avons l'union monétaire, nous avons Schengen, etc. Certains États membres sont également membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. D'autres appartiennent par exemple à différents groupes constitués au sein de la Banque mondiale. Donc, les relations internationales sont par nature inextricables, en ce sens qu'elles recouvrent des réalités historiques et défendent des intérêts multiples.
Si l'UE peut avoir une représentation à tous ces différents niveaux, pourquoi d'autres organisations n'auraient-elles pas le droit d’être représentés dans plusieurs enceintes? Pour moi, la question de l'efficacité se pose en termes de capacité du Groupe ACP à mener des actions que d'autres organisations ne peuvent pas mener ou ne sont pas mandatées pour mener. Pour moi, la question de l'efficacité se pose en termes de capacité du Groupe ACP à mener des actions que d'autres organisations ne peuvent pas mener ou ne sont pas mandatées pour mener.
À mon avis, le Groupe ACP joue un rôle essentiel en regroupant un grand nombre de pays en développement répartis sur trois continents, dont les intérêts sont définis non seulement sur une base régionale, mais également en fonction de leurs niveaux de développement. Cela est susceptible de changer, et je suis convaincue que le Groupe ACP a un énorme potentiel de développement au cours des prochaines décennies, même si, pour l'instant, il défend des intérêts particuliers liés à la disponibilité des ressources naturelles, et se trouve confronté à des problèmes de pauvreté extrême et d'inégalités, ainsi qu'à des problèmes sociaux.
Le Groupe ACP ne remplace ni l'Union africaine ni le G77. La différence avec l'UA réside dans le fait que le Groupe ACP ne se définit pas sur une base géographique et qu'il est, de ce fait, mieux placé pour défendre les intérêts des pays en développement du monde entier. Quant au G77 dont les BRICS sont membres, il est souvent confronté à des dissensions internes au sujet des problématiques du développement. Le Groupe ACP peut dès lors contribuer de façon constructive à une bonne organisation des représentants des pays en développement au sein du G77.
Je pense que la future pertinence du Groupe ACP découlera de sa position en tant que véritable intermédiaire influent pour les pays en développement, et de sa collaboration avec les BRICS, l'Europe et la communauté internationale sur des questions d'intérêt commun touchant à l'avenir de cette planète.
PACP: Le Groupe ACP entretient des liens historiques avec l'Europe, mais l'UE semble s'ouvrir de plus en plus à d'autres pays tiers et sortir du cadre de ses traditionnelles relations privilégiées de longue date avec les pays ACP. En fait, l'UE traite de plus en plus avec les pays ACP sur une base bilatérale ou régionale, et ne fait appel au Groupe ACP que dans des cas spécifiques liés à l'Accord de Cotonou. Pouvons-nous en déduire que l'UE n'a plus besoin des pays ACP en tant que groupe?
MVR: L'erreur de l'UE, c'est de croire qu'elle peut obtenir encore plus de concessions par le biais des négociations bilatérales. Elle a sans doute raison sur ce point, mais ce qu'elle oublie, c'est qu'elle peut préserver ses intérêts à long terme grâce à des relations fiables et étroites avec un groupe de pays. Les relations bilatérales sont instables par nature, alors que la collaboration entre groupes garantit une stabilité bien plus grande.
Vous savez, l'UE a toujours été vulnérable parce qu'elle ne dispose pas de ressources naturelles. Au cours des trois prochaines décennies, nous allons connaître des problèmes démographiques découlant d'un double vieillissement de la population (en nombre et en âge), et une réduction de la main d'œuvre. Nous aurons à relever des défis immenses dans un monde de plus en plus compétitif.
Par conséquent, nous avons vraiment besoin d'amitiés stables. Ces amitiés reposent sur des intérêts mutuels, une histoire commune et une tradition. La coopération entre l'UE et le Groupe ACP existe depuis l'institution de la CE, et il me paraît évident que l'UE serait beaucoup plus faible sans ses relations avec l'ensemble du Groupe ACP.
Aucun partenariat régional ne permet de disposer d’une telle capacité institutionnelle et de nouer des liens historiques tels que ceux qui existent avec l'UE.
PACP: Quels sont, selon vous, les principales réalisations de la coopération ACP-UE au cours des dernières décennies, et quel rôle peuvent-elles jouer dans la définition des futures orientations du Groupe ACP?
MVR: Le panel de haut niveau (PHN) des Nations Unies a défini des objectifs très précis à atteindre à l'horizon 2030, à savoir:
1. ne laisser personne sur le bas-côté;
2. accorder une place centrale au développement durable;
3. transformer les économies de façon à créer des emplois et favoriser une croissance inclusive;
4. consolider la paix et des institutions efficaces, ouvertes et responsables pour tous; et
5. instaurer un nouveau partenariat mondial.
Je constate que ces orientations correspondent à celles du partenariat ACP-UE. L'UE et les ACP ont déjà construit le partenariat mondial que le PHN préconise! Pourquoi voudrait-on le démanteler pour le reconstruire ensuite? Cela ne se produira jamais.
Le PHN a élaboré un calendrier universel et inclusif, et place l'avenir de la planète au centre des préoccupations. C'est une bonne chose. Il réfléchit à la façon dont les économies pourraient s'adapter à ces priorités et les moyens de faire en sorte que les ressources naturelles deviennent des moteurs du développement pour tous. Il identifie également les moyens par lesquels des institutions stables peuvent jouer un rôle central dans la sécurisation des sociétés et l'instauration de conditions prévisibles pour l'activité et la croissance économiques.
Le PHN rappelle par ailleurs que nous avons besoin les uns des autres pour atteindre ensemble ces objectifs, et partager nos marchés, nos innovations et nos ressources. Je pense que ce calendrier est approprié et que le partenariat ACP et UE devrait se l'approprier et assurer un leadership international dans ce domaine. Le Groupe ACP et de l'UE pourraient ainsi améliorer leur visibilité, renforcer leur rôle de leadership, et en tirer un bénéfice mutuel.
PACP: D'une façon générale, quels sont les principaux ingrédients de la réussite d'un Groupe ACP autonome et indépendant? En vous basant sur vos travaux de recherche, pouvez-vous affirmer que l'existence d'un tel groupe est envisageable? Si oui, qu'est-ce qui a empêché le Groupe ACP d'acquérir son autonomie ou son indépendance depuis son institution en 1975 par l'Accord de Georgetown?
MVR: Ce projet est tout à fait réaliste. Tout ce dont nous avons besoin, c'est d'une vision. Il existe des représentations à Bruxelles, à Genève, à New York et dans d'autres villes comme Addis-Abeba. Ce qu'il nous faut, c'est une réelle volonté d'œuvrer ensemble à une meilleure visibilité et à la mise en place de plateformes d'échanges.
Le monde d'aujourd'hui est très différent. Nous avons par exemple des technologies mobiles de négociation et la "diplomatie Twitter", et nul n'est besoin de bureaux suréquipés pour promouvoir un objectif commun.
Je pense que ce que ce qui m'a le plus frappée lors de mes recherches sur les perspectives d'avenir du Groupe ACP, c'est le fait que le mandat du Comité des ambassadeurs ACP n'ait pas changé depuis tout ce temps et reste confiné dans le cadre de la coopération ACP-UE. C'est la première chose qu'il faudra changer, car cette structure est archaïque et inadaptée aux réalités d'aujourd'hui. Le Comité des ambassadeurs devrait s'occuper des intérêts ACP dans des domaines essentiels tels que le changement climatique, le développement international et le commerce.
J'ai également été surprise par la faible étendue des pouvoirs limités du Secrétaire général, qui constitue pourtant un atout essentiel pour le Groupe ACP, sa carte maîtresse en quelque sorte. Or, la valeur d'un dirigeant se mesure à l'aulne de la confiance que lui accordent ceux qu'ils représente.
Je constate toutefois l'émergence, dans les pays ACP et UE, d'une nouvelle génération ayant une vision des affaires internationales totalement différente. Ces jeunes évoluent dans différents mondes à la fois, ils ont fait leurs études ensemble, ils se parlent sur Skype et Whatsapp, ils jouent et s'expriment sur Internet à travers les frontières et les continents, ils jouent aux mêmes jeux et regardent les mêmes films, ils voyagent et passent leurs vacances ensemble, et ils ont les mêmes préoccupations liés aux problématiques du changement climatique, de l'innovation et de l'économie. Cette génération a une vision planétaire, d'où la nécessité d'adapter les structures internationales qui ont effectivement contribué au progrès de l'humanité aux réalités d'aujourd'hui.
Par conséquent, le Groupe ACP et l'UE doivent se réinventer et maintenir leurs relations de longue date, en leur donnant une nouvelle pertinence par rapport au monde d'aujourd'hui.
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Prof. Mirjam van Reisen est une spécialiste des questions relatives à la coopération internationale, au Traité de Lisbonne et au budget de l'UE.Elle est la directrice fondatrice de Europe External Policy Advisors (EEPA), un groupe de recherche et de conseil établi à Bruxelles, et est actuellement titulaire d'une chaire Marga Klompé de responsabilité sociale internationale à l'université de Tilburg (Faculté de lettres, département de la culture) aux Pays-Bas.Elle est l'auteur de Window of Opportunity. The EU development policy after the Cold War (2008: Africa World Press), dont un chapitre est consacré à l'histoire des relations ACP-UE.
En 2012, Prof. van Reisen a été mandatée par le Groupe ACP pour entreprendre une étude sur les perspectives d'avenir du Groupe ACP, avec un appui financier du PNUD. Le résumé de cette étude peut être téléchargé ici.