ENTRETIEN SPECIAL avec le Président du Comité des ambassadeurs ACP, S.E. Roy Mickey Joy
L'ambassadeur de la République du Vanuatu auprès de l'Union européenne, S.E. Roy Mickey Joy, présidera le Comité des ambassadeurs du Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique pendant la période du 1er février au 31 juillet 2015.
Dans l'entretien qu'il a accordé à la Presse ACP, il livre ses impressions concernant l'année cruciale qui attend le Groupe ACP et l’ensemble de la communauté internationale, dans la perspective de l'adoption du programme de développement pour l'après-2015.
Presse ACP: Vous prenez la tête du Comité des ambassadeurs ACP à un moment critique de l'histoire du Groupe ACP. Nous savons que l’année 2015 sera décisive en ce qui concerne notamment l’agenda mondial en matière de développement international. Pourquoi cette année est-elle particulièrement importante pour le Groupe ACP?
Ambassadeur Roy Mickey Joy: Je pense que 2015 est une année charnière, car le Groupe ACP se trouve à la croisée des chemins. Un nouveau Secrétaire général ACP vient d’être nommé et sa nouvelle équipe prendra prochainement fonction. Cette année offrira au Groupe ACP une occasion exceptionnelle de dialoguer et de présenter à la communauté internationale certains travaux et recherches de grande envergure réalisés par le Secrétaire général dans le cadre de sa précédente fonction de Président du groupe de travail des ambassadeurs sur les Perspectives d'avenir du Groupe ACP.
La Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement se tiendra cette année à Addis-Abeba (en Éthiopie) au mois de juillet, et sera suivie, en septembre, par le Sommet des Nations Unies sur le programme de développement pour l'après-2015, qui précèdera la COP 21 prévue à Paris. Le Groupe ACP doit se mobiliser et participer pleinement à ces différents processus, en préparant ces trois événements importants et interdépendants. Je crois savoir que le Secrétaire général ACP prendra part à la conférence d’Addis- Abeba où il fera une déclaration, en compagnie du Président du sous-comité du Financement du développement, S.E.Dr Pa’o Luteru ambassadeur de Samoa. L'objectif du Groupe ACP est de faire en sorte que la position ACP soit clairement exposée et prise en compte comme partie intégrante du processus conduisant à l'adoption du document final qui sera présenté à la Conférence de New York.
Nous estimons que les relations qui lient les différents membres du Groupe ACP sont hautement stratégiques. En effet, nous constituons déjà un groupe fort et soudé de 79 pays. Notre seule difficulté réside dans le fait que nous n'arrivons pas à parler d'une seule voix dans les grandes enceintes internationales. Il est grand temps que nous, ambassadeurs, avec l'appui du Secrétaire général et de son personnel, de nos ministres les capitales, voire du Sommet ACP, travaillions de concert pour positionner le Groupe ACP comme une force internationale de premier plan. Le Groupe ACP pourra ainsi trouver à terme sa place spécifique au sein de la communauté internationale en tant qu'un groupe international de pays intégrés et respectés. Telle est la vision que nous avons du Groupe ACP.
Presse ACP: vous avez mentionné trois réunions internationales très importantes qui se tiendront cette année. Quelles sont les principales questions de développement que le Groupe ACP mettra en évidence lors de ces événements ?
RMJ: La problématique des petits États insulaires en développement (PIED) est très importante à nos yeux. Je pense que le forum des PEID doit servir de catalyseur pour conduire le Groupe ACP à l’étape suivante. J'ai participé aux débuts de la conférence sur les PEID en 1994 à la Barbade, puis à la conférence de Maurice dix ans plus tard, et à celle de Samoa en 2014. La Conférence de Samoa a été organisée à un moment critique pour la communauté internationale, où les préoccupations et les enjeux en matière de développement durable occupent une place centrale. Je voudrais saisir cette occasion pour adresser mes vives félicitations au Premier ministre de Samoa, à l'ensemble de son équipe et peuple de Samoa, pour avoir organisé cette conférence avec un tel succès. Il appartient désormais au Groupe ACP de mettre en place une plateforme consacrée aux PEID, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. C’est une mesure nécessaire, car les PEID ont un vaste programme de développement transversal.
Les travaux menés par le Groupe ACP concernant son propre avenir revêtent une importance capitale. Dans le cadre du 11e FED, par exemple, nous devons veiller à ce que les ressources mises à notre disposition soient utilisées aux fins prévues et dans les domaines où leur impact sera plus important, tels que les économies rurales. Prenons le cas de l'enveloppe intra-ACP (une allocation du FED pour des projets au niveau tous-ACP), dont les modalités d'utilisation ont été pendant longtemps déterminées en grande partie par nos partenaires européens. Nous acceptons cette situation dans la mesure où ce sont eux qui fournissent les ressources, mais je pense aussi que, compte tenu de la nature conjointe de l’accord ACP-UE, la partie ACP pourrait être davantage écoutée. [Après des discussions], nous estimons que ces ressources serviront à financer le secteur privé, nos ONG, nos économies rurales et les initiatives publiques-privées dans nos pays.
Enfin, nous devons nous concentrer sur les avantages comparatifs dont disposent les États ACP et sur la nécessité pour les États ACP d’œuvrer ensemble à l'identification de projets viables pouvant bénéficier non seulement de l'enveloppe intra-ACP, mais également des ressources disponibles dans le cadre des mécanismes de mixage de la Banque européenne d'Investissement, de la Facilité d'investissement, et d'autres formes d'aide au titre du 11eFED pour la période 2014-2020. Ces questions figurent parmi celles que nous aurons à examiner au cours des prochains mois.
PACP: Près de la moitié des Etats membres du Groupe ACP sont des PEID. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les défis particuliers que doivent affronter ces pays, et sur la façon dont vous comptez mettre cette question en exergue dans le programme de travail du Groupe ACP?
RMJ: Au moment où je vous parle, mon pays, le Vanuatu, vient d'être frappé par le terrible cyclone tropical Pam. Cette catastrophe a mis en évidence certaines des principales difficultés rencontrées par les PEID. Pour ce qui est de la région Pacifique, y compris le Vanuatu, la question de l'élévation du niveau de la mer – comme dans le cas de Tuvalu, est un phénomène dont nous commençons à voir les premières manifestations. Pour la première fois au Vanuatu, nous sommes confrontés à des cas de réfugiés climatiques dans deux îles périphériques de la partie nord du pays où le gouvernement a entrepris, avec le soutien de la communauté internationale, de transférer les habitants vers une zone plus étendue, en raison du phénomène de submersion. Cette situation a des répercussions considérables sur la sécurité alimentaire, la production de denrées alimentaires et la pêche.
Certains projets revêtent un très grand intérêt pour nous, comme par exemple ceux portant sur la noix de coco et le kava, que nous comptons exporter. S'agissant de la noix de coco, je voudrais confirmer que grâce à notre leadership, l'ambassadeur du Samoa et moi-même, le Secrétariat de la Communauté du Pacifique (SPC) établi à Nouméa a été unanimement désigné comme chef de file du projet. Nous avons engagé à cet égard des consultations en vue de soumettre à la Commission européenne une demande de financement de 3,5 millions d'euros. Pour le lancement du projet, nous avons identifié deux projets pilotes à Samoa et au Vanuatu. Nous tenons également à tirer parti des ressources provenant de l'enveloppe intra-ACP du 11e FED afin d'appuyer le projet régional pour la valorisation de la noix de coco dans le Pacifique, auquel participera la majorité des pays de la région.
Concernant le kava – il s'agit d'un projet sur lequel j’ai travaillé pendant cinq ans – je voudrais confirmer que suite à la demande introduite par l'ambassade du Vanuatu au titre du programme ACP-UE sur les obstacles techniques au commerce (OTC), un cabinet d'avocats européen a été désigné pour réaliser une étude sur ce produit. Celle-ci s'étalera sur sept mois et abordera les aspects juridiques, scientifiques et commerciaux de cette problématique. Nous prévoyons d'organiser à Bruxelles une conférence de deux jours, à laquelle seront conviés tous les principaux acteurs du secteur du kava dans le Pacifique, et de communiquer les résultats des travaux au cabinet d'avocats en charge de l'étude dans le Pacifique. La réunion de Bruxelles ouvrira la voie à l'organisation d’une conférence ministérielle sur le kava qui pourra adopter une feuille de route permettant de traiter la question de l'interdiction de ce produit en Allemagne et en Europe. Les autres questions sont liées au marché et à l’application des normes de qualité pour faire en sorte que le kava puisse être exporté vers l'Europe et le reste du monde.
Presse ACP: Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment ces différentes initiatives seront intégrées dans les réflexions sur l'avenir du Groupe après 2015, 2020 et au-delà, et dans le même ordre d’idée, quelle est la valeur ajoutée que le Vanuatu et les États ACP du Pacifique tirent de leur appartenance au Groupe ACP?
RMJ: Pour les États du Pacifique, qui sont à la fois petits, faibles et très éloignés des principaux marchés, nous, en particulier au Vanuatu, considérons que nous ne saurions être cantonnés à l'isolement. La majorité des États du Pacifique attachent une grande importance à l’appartenance au Groupe ACP et en tirent une fierté. Elle nous procure des avantages considérables.
Nous sommes aux prises avec la question de l'avenir du Groupe ACP. Comme vous le savez, l'échéance de 2020 est très proche et l'Accord de partenariat de Cotonou ACP-UE prévoit très clairement l'expiration à cette date du cadre de partenariat en vigueur entre le Groupe ACP et l'UE. Toutefois, l'apparition de nouveaux défis offre, me semble-t-il, l'occasion aux États ACP de préparer collectivement l’avenir en tant que Groupe. Au Vanuatu et dans d'autres pays du Pacifique, nous avons entrepris de nouer des relations bilatérales non seulement avec les États membres de l'UE, mais également avec les pays à économie émergente sur le continent européen. En tout état de cause, nous devons veiller à ce que le Groupe ACP continue d'exister après 2020, mais dans une toute nouvelle configuration. Je demeure convaincu qu'il existe de grandes similarités au sein des régions Caraïbes et Pacifique, mais que la diaspora africaine est en revanche beaucoup plus nombreuse que la nôtre, ce qui doit être pris en compte.
Les portes restent ouvertes, et c'est pourquoi l'organisation du prochain Sommet des chefs d'État et de gouvernement est une question en suspens, que je souhaite voir régler le plus rapidement possible. Pourquoi le Sommet est-il si important? Tout d’abord, il apportera de la visibilité à notre Groupe. Ensuite, il permettra à nos chefs d'État et de gouvernement de prendre collectivement des décisions politiques essentielles ; enfin, le Groupe d'éminentes personnalités (GEP) doit lui soumettre son rapport pour adoption. Je pense que le rapport du GEP (qui consiste en une évaluation de l'organisation réalisée par 12 personnalités éminentes ACP, dont 3 anciens Présidents de la République) contient des questions et recommandations majeures concernant l'avenir du Groupe, son élargissement et les raisons pour lesquelles il doit rester une force solide et unificatrice. J'appelle de mes vœux un Groupe ACP à la pointe de la politique internationale, reconnu de plein droit et respecté par l'ensemble de la communauté internationale.
(Photos: à partir du haut – L'ambassadeur de la République du Vanuatu auprès de l'UE, S.E. Roy Mickey Joy; Dégâts causés par le passage du Cyclone Pam au Vanuatu le 14 mars 2015/ Getty Images; l'ambassadeur Joy avec le ministre néerlandais du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, S.E. Mme Lilianne Ploumen et son équipe. Le gouvernement du Royaume des Pays-Bas a offert 2,5 millions d'euros au Vanuatu au titre des secours immédiats au lendemain du Cyclone Pam/ Photo du Consulat du Vanuatu aux Pays-Bas).
– Presse ACP