Messieurs les Coprésidents de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-EU, Honorable Fitz Jackson, Honorable Louis Michel;
Monsieur le Président en exercice du Conseil de l'UE;
Honorables Membres de l'APP;
Distingués invités;
Je vous remercie pour l'occasion que vous m'offrez de m'adresser à vous à l'occasion de la 28ème session de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE. C'est un honneur pour moi-même et pour mon pays, la République de Guinée, qu'il nous soit accordé le privilège de présenter les vues et les préoccupations du Groupe ACP sur divers aspects de la coopération ACP-UE. Je saisis cette occasion pour me joindre à mes illustres prédécesseurs pour vous remercier pour le travail exceptionnel que cette Assemblée effectue pour sauvegarder les valeurs et les principes de la coopération ACP-UE.
Messieurs les Coprésidents,
Ceci étant la première session de l'Assemblée après les élections parlementaires européennes tenues en mai 2014, je voudrais adresser mes félicitations, bien que tardives, à tous les députés européens pour leur élection ainsi qu'à ceux d'entre vous qui ont été réélus. Que votre engagement, à l'instar de celui de vos prédécesseurs, ne faiblisse jamais.
L'APP est une institution d'exception et sans équivalent. Dans quelle autre enceinte peut-on en effet voir des représentants élus de la majorité des pays du Sud et leurs homologues provenant de la plupart des pays développés du Nord, se réunir pour débattre et définir des positions communes sur des questions touchant au bien-être et à l'avenir de près de la moitié de la population mondiale.
Messieurs les Coprésidents,
Je voudrais consacrer mon intervention à quelques enjeux qu'il convient de porter à votre attention, mais aussi à celle des décideurs politiques dans vos pays respectifs.
En premier lieu, je voudrais évoquer la conclusion des négociations de l'APE, qui a occupé une grande partie des activités ACP-UE pendant plus de 10 ans. A l'approche même de la conclusion de ces négociations, l'environnement commercial international semble s'orienter vers une réforme en profondeur, une fois de plus en raison des pactes commerciaux de grande envergure que l'Union européenne négocie actuellement, notamment le Partenariat transatlantique pour le Commerce et l'Investissement entre les Etats-Unis et l'Union européenne.
A ces facteurs s'ajoutent la présence grandissante des investissements chinois et les profonds bouleversements qui en découlent en matière de flux économiques et commerciaux. Pour les décideurs politiques ACP, cela signifie des choix politiques plus difficiles à faire afin de trouver des réponses face à cette nouvelle donne et de repositionner nos régimes commerciaux de manière à écarter les risques et à tirer parti des nouvelles opportunités.
Face à de tels défis, nous reconnaissons le rôle important que le secteur privé peut jouer pour réformer et revitaliser nos économies. La 37ème session du Conseil des ministres ACP-UE tenue à Nairobi en juin dernier a d'ailleurs adopté un cadre conjoint de coopération ACP-UE pour le développement du secteur privé dans les pays ACP, afin de guider le dialogue avec le secteur privé dans nos pays.
Il appartient désormais aux gouvernements et aux donateurs d'explorer d'autres pistes, dans le but d'améliorer le dialogue avec les milieux d'affaires et de créer ainsi des sociétés plus pacifiques, plus justes, plus inclusives et plus prospères. Nous reconnaissons que nous ne pourrons pas réaliser ces nobles idéaux, sans tenir compte d'autres enjeux sociaux et politiques capables de freiner ou de favoriser le dynamisme du secteur privé.
Messieurs les Coprésidents,
Tous nos efforts sont guidés par une seule priorité, à savoir nourrir nos populations. A cet égard, le secteur agricole continuera de constituer un domaine prioritaire pour bon nombre de nos pays. Et il ne s'agit pas simplement d'accroître la production agricole, mais de créer aussi des chaînes de valeur, afin d'améliorer les revenus des agriculteurs et de renforcer leurs liens économiques avec le reste de l'économie. Nous souhaitons également intensifier le commerce agricole, de manière juste et équitable. Nous continuerons d'insister pour que des mesures appropriées soient prises au niveau mondial, y compris au sein de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne les politiques et les régimes commerciaux ayant des effets négatifs sur le secteur agricole de nos pays.
De l'avis de certains spécialistes du développement, l'Afrique peut devenir un exportateur net de denrées alimentaires dans les 10 prochaines années, à condition de déployer sur le continent des interventions politiques agressives mais raisonnables. Si les progrès réalisés dans le secteur agricole en Afrique ne sont pas accompagnés d'interventions politiques appropriées dans le domaine du développement, on pourrait se retrouver dans une situation où de grandes quantités de denrées alimentaires seraient exportées hors du continent, entraînant un accroissement de la consommation dans les pays riches, tandis que les Africains ne seraient pas en mesure de répondre à leurs besoins nutritionnels quotidiens.
Messieurs les Coprésidents,
Eu égard aux éléments susmentionnés, nous invitons nos partenaires, y compris les législateurs européens, à continuer d'appuyer nos efforts visant à améliorer la consommation et l'accès à l'alimentation dans les pays à faible revenu. Nous sommes conscients que l'augmentation de la production agricole ne pourra pas pleinement être réalisée sans une amélioration de l'accès à l'eau.
Certaines régions ACP sont non seulement confrontées aux pénuries d'eau, mais aussi à la menace de la désertification.
A cet égard, il m'est agréable de vous informer que l'UE et l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), en collaboration avec le Groupe ACP, ont lancé un programme d'une durée de 4 ans et demi, financé à concurrence de 41 millions d'euros, avec l'objectif de promouvoir la gestion durable des terres et la restauration des terres arides et dégradées en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique.
Ce programme dénommé Action contre la désertification jouera un rôle primordial dans la lutte contre la faim et la pauvreté, à travers la promotion de la stabilité et le renforcement de la résilience au changement climatique dans des régions parmi les plus vulnérables du monde.
Messieurs les Coprésidents,
Le changement climatique constitue également une question urgente. Le groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations Unies a mis en garde contre les conséquences fâcheuses auxquelles s'expose la planète, si l’on n’abandonne pas progressivement, dans les cinquante prochaines années, l'utilisation intensive des carburants fossiles. Certains pays, en particulier les petits Etats insulaires du Pacifique et des Caraïbes, ressentent déjà les effets du changement climatique.
De plus, des facteurs tels que les ressources limités, la forte dépendance à l'égard du commerce internationale, la très grande exposition aux chocs exogènes, les coûts de transport très élevés, entravent le développement durable des pays insulaires, qui représentent près de la moitié de la composition du Groupe ACP.
Lorsque nous nous attaquons aux défis de l'extrême pauvreté ailleurs, nous devons également porter une attention particulière sur les vulnérabilités des petits Etats insulaires en développement, sans trop mettre en avant le fait qu'ils soient classés dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire. Les petits Etats insulaires ont besoin d'aide pour se maintenir à ce niveau, voire pour progresser. Ils demeurent vulnérables aux chocs externes et climatiques, qui pourraient les reléguer au statut de pays moins avancés.
Messieurs les Coprésidents,
Permettez-moi de rappeler à votre Assemblée que les inégalités croissantes constituent l'un des plus grands défis et l'un des enjeux politiques les plus sensibles auxquels doivent répondre les hommes politiques aussi bien dans les pays développés que ceux en développement . En dépit de la croissance de nos économies, on pourrait ne pas être en mesure de réaliser le développement durable si les inégalités continuent de s'accroître à leur rythme actuel.
Selon certaines estimations, en 2013, sept personnes sur dix vivaient dans des pays où les inégalités économiques s'étaient aggravées par rapport à il y a 30 ans, et selon l'Agence d'aide britannique Oxfam , en 2014, 85 personnes détiennent autant de richesses que la moitié des personnes les plus pauvres de l'humanité, soit environ 3,5 milliards de personnes.
S'il est vrai que les inégalités extrêmes dérangent d'un point de vue moral, elles constituent aussi une menace pour la démocratie et la paix. A cet égard, le Président de la Banque mondiale a déclaré que l'éradication de la pauvreté est subordonnée à la réduction des inégalités. D'après lui, le bien-être des plus pauvres et les opportunités qui leur sont offertes sont directement liés à la quantité de richesses concentrées entre les mains de ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide.
Les inégalités perturbent le processus politique de redistribution des pouvoirs et des chances, dans la mesure où les plus favorisés accaparent les opportunités, et limitent ainsi les chances de ceux qui sont au bas de l'échelle.
Dès lors, l'examen de la question de l'inégalité ne saurait être différée. Il nous appartient en tant que représentants au Parlement européen et dans nos parlements nationaux, et, bien entendu, dans des instances telles que l'APP, d'appeler à la mise en œuvre d'actions urgentes pour corriger ces profonds déséquilibres économiques.
Cela passe par des solutions pragmatiques. A titre d'exemple, selon les estimations de l'OMS, le prélèvement d'un impôt de 1,5 pour cent sur les avoirs des milliardaires au-delà d'1 milliard de dollars, permettrait de récolter 74 milliards de dollars. Pendant ce temps, le déficit annuel du financement destiné à l’accès universel à l'éducation de base, l'objectif numéro 2 des OMD, s'élève à 26 milliards de dollars par an, selon l'UNESCO, tandis que celui du financement consacré à la fourniture des services essentielles de santé atteindra 37 milliards de dollars par an en 2015.
Par conséquent, notre principal défi consiste à définir des politiques permettant aux riches et aux personnes les moins favorisées d'agir dans le meilleur intérêt de la société. En définitive, il s'agira de démontrer que nous pouvons penser et promouvoir des systèmes économiques favorables à la création d'emplois, à la sécurité alimentaire et à l'amélioration des conditions d'existence de manière plus durable et plus éthique.
Messieurs les Coprésidents,
En tant que Guinéen, je ne saurais terminer mon propos sans évoquer l'épidémie d'Ebola, qui ravage les populations de mon pays, ainsi que celles du Liberia et de la Sierra Leone. Je voudrais rendre hommage aux pays et aux organisations, qui ont manifesté un appui financier et matériel à ces trois pays d'Afrique de l'Ouest où l'épidémie sévit. Je souhaite également remercier tous les professionnels de la santé de nos pays ainsi que ceux venus de l'étranger pour combattre en première ligne cette maladie, au péril de leurs vies.
L'épidémie d'Ebola pourrait annuler les multiples progrès politiques et économiques que nous avons accomplis ces dernières années. Elle constitue un obstacle majeur à la gestion courante des questions ordinaires de santé, moins alarmantes. Bien que notre préoccupation, dans l'immédiat, soit d'enrayer la propagation de la maladie, nous croyons également qu'il serait temps de repenser les secteurs sanitaires de nos pays, et de remédier aux déficiences structurelles entravant l'accès aux soins de santé de base dans les pays en développement.
L'épidémie d'Ebola a également fait apparaître la nécessité pour le secteur public et le système multilatéral international de mettre en place des mécanismes robustes de mise au point de médicaments et de vaccins contre les maladies transmissibles.
En l'absence de système de santé public universel, le secteur privé continuera d'élaborer des solutions uniquement dans le but de faire du profit, sans tenir compte de ceux qui sont les plus vulnérables à la propagation des virus comme Ebola dans les pays en développement.
Messieurs les Coprésidents,
En conclusion, je voudrais suggérer que tous les efforts que nous déployons dans le domaine du développement dans les pays ACP, et particulièrement en Afrique, sont indissociables des questions de gouvernance. Ainsi que nous le montrent les événements récemment survenus au Burkina Faso, la stabilité de nos systèmes politiques repose sur la capacité de nos dirigeants et de nos institutions publiques à créer un lien de confiance avec nos populations. Une fois que ce lien est rompu, les dirigeants politiques perdent leur légitimité.
Les masses peuvent désormais choisir de faire partir des dirigeants élus ou non élus par la voie des scrutins ou par des insurrections populaires. En tant que personnalités politiques, nous devons veiller à respecter nos obligations ultimes, en restant à l'écoute de nos populations et en faisant preuve d'une intégrité irréprochable dans nos décisions politiques.
Messieurs les Coprésidents,
Sur le plan africain, d'autres défis politiques subsistent, notamment la crise politique en République centrafricaine et le péril terroriste au Sahel, dans le Nord du Nigeria et en Afrique de l'Est. Nous ne pourrons pas tous les résoudre du jour au lendemain. Mais nous portons un message fort consistant à dire que nous sommes résolus à agir en solidarité avec tous les pays dont l'intégrité politique et territoriale est menacée.
Le terrorisme moderne s'est mondialisé, ses méthodes et ses modes de financement sont de plus en plus sophistiqués. Même les pays qui semblent ne pas en être directement concernés pour le moment finiront par l'être. C'est pourquoi nous devons nous attaquer au terrorisme comme à une menace politique mondiale, à travers une mobilisation des ressources financières, techniques, humaines requises pour le combattre efficacement.
Messieurs les Coprésidents,
Je vous remercie de votre aimable attention, et vous souhaite plein succès pour vos activités présentes et à venir.